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Ah Pierre ! Cette méta-étude sur le cholestérol m'intéresse beaucoup. Si tu peux me faire passer la référence, ce serait super sympa. Elle confirmerait mon impression. Maintenant l'interprétation est peut-être complexe. On a 1) des essais qui montrent une diminution de mortalité dans de petites populations ciblées (par exemple les gens qui ont déjà eu un infarctus du myocarde 2) des essais qui montrent une diminution de certaines maladies (dont une proportion variable peut déboucher sur un décès) 3) un élargissement invraisemblable des "seuils de traitement" dans les recommandations (sous l'influence des industriels) 4) une absence quasi totale de politique sanitaire de prévention des maladies cardiovasculaires (par une lutte adaptée contre le tabac, l'alcool, les pollutions diverses...) 5) une augmentation du nombre de maladies cardiaques, à la fois à cause des changements de mode de vie, des pollutions diverses, et du vieillissement de la population (pour faire un raccourci un peu facile, si on meurt moins de maladie infectieuse, on meurt plus tard, et on meurt plus souvent de maladie cardiovasculaire. Au total, je ne suis pas bien certain qu'on dispose des données nécessaires pour modéliser l'ensemble de ces données et en tirer des conclusions solides. Mais c'est très intéressant...
Après, on peut parler pendant des heures des normes en médecine. Parce que ce mot recouvre des choses extrêmement différentes, et pour bien raisonner, on est obligé d'aller rechercher à chaque fois que "quelle norme" ou de "quelle normalité" on parle.
Par exemple, on a la norme statistique : les 2,5 % en bas et en haut sont "anormaux". Mais pas forcément malades, évidemment !
On a la norme épidémiologique : pour un indicateur donné représenté par une variable continue (par exemple la glycémie), on recherche dans quelles populations il apparaît des "complications cliniques" (par exemple des infarctus du myocarde, des insuffisances rénales). Les bornes au-delà desquelles on observe ces complications sont alors les bornes de la normalité. Mais ce n'est pas parce qu'un risque est augmenté qu'une intervention correctrice ou thérapeutique est efficace, bien sûr.
Là, on a la norme thérapeutique, ou seuil d'intervention. C'est la valeur d'un indicateur représenté par une variable continue au-dessus ou au-dessous de laquelle on a statistiquement des chances de rendre service au patient si on lui propose un traitement.
Après on la des normes subjectives. Par exemple, autrefois, le diabète se définissait notamment par le goût sucré de l'urine (beurk !) Les normes subjectives concernent souvent des observations discrètes, non réductibles à des valeurs chiffrées. Par exemple "une pensée paranoïaque" est "anormale".
Ensuite on a des normes purement arbitraires. On est fondé à en utiliser dans un but de recherche, ou pour unifier le langage, lorsqu'on n'a pas mieux sous la main. Par exemple, certaines maladies sont définies par des listes de "critères majeurs" et de "critères mineurs", et il faut 4 critères majeurs (sur 6) plus au moins 2 critères mineurs pour définir la présence de la maladie (donc la situation "anormale")
Et il y a des définitions sociales de la normalité, bien sûr, qui jouent un rôle majeur. Par exemple, lorsque je faisais mes études, on disait que plus de 90% des ados avaient des boutons d'acné - ce qui était donc "normal". D'autant que ce n'est en général pas douloureux ni pénible, et que ça disparaît spontanément sans séquelle (bon, il y a quelques exceptions). A cette époque, se plaindre d'acné bénigne était un signe de fragilité psychologique anormale. De nos jours, je me demande parfois si ne pas s'en plaindre n'est pas souvent considéré comme un signe d'absence anormale de soin pour l'image de soi.
D'autres discussions sur la normalité tiennent aussi aux différences socio-géographiques et culturelles. Ou génétiques. Par exemple, certaines populations du moyen orient ont une pilosité féminine bien plus importante (et plus voyante) que les populations du nord de l'Europe. Si on leur applique les normes sociale européennes, on les définit presque toutes comme anormales, et on leur fait plein de tests inutiles à la recherche de maladies hormonales.
Jusqu'ici, tout serait simple, mais il faut en plus considérer la norme sociale comme variable et fluctuante, et sensible aux influences des industriels. Par exemple, de merveilleux psychiatres (à la solde des industriels, mais chuttt c'est un secret) ont assez récemment défini la timidité (pardon, la "phobie sociale") comme une maladie (alors que c'était une qualité sociale prisée au XIXe siècle), à traiter par médicament. De même, on a récemment inventé une nouvelle "anormalité", le "trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité" (si,si) qui toucherait "1 enfant par classe" (!!!) et imposerait un traitement par anxiolytique-antidépresseur. Un auteur critique commente "autrefois, on les appelait des garçons..."
Bon je m'arrête, parce que vous allez en avoir assez...
Je vous conseille très vivement les livres "Les inventeurs de maladies : Manoeuvres et manipulations de l'industrie pharmaceutique" et "Comment la psychiatrie et l'industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions".
Amicalement à tous (et désolé d'avoir été si bavard)
Jean
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