Strictement personnel

Bonjour,

Aspie "moyen", je vais essayer de décrire comment je me perçois et comment je perçois les autres.

Au passage, je tiens à dire que dans cette description, il y a le coté aspie et des aspects qui me sont propres. Et que je suis parfaitement incapable de faire la différence entre les deux. Donc attention, ne considérez pas mon témoignage comme celui de l'aspie type, mais comme d'un aspie parmi d'autre. De même que si une personne à la peau rouge témoignait, ce serait le témoignage de cette personne et pas de tous les peaux-rouges, etc.

Lorsque je pense de ce qui semble être une manière normale à mes yeux, je pense d'une manière qui me semble logique. Et -en tenant compte du point de vue des non-aspies- elle est logique. Logique comme l'est à vos yeux une équation mathématique. En fait, la plupart de mes actes sont dictés par la logique. Si un comportement me semble logique, je le respecterai de manière absolue. Par contre, s'il ne me semble pas logique, je l'ignorerait/ j'aurai beaucoup de mal à l'effectuer.

Par exemple, les subtilités sociales me dépassent. Tout ce que vous nommez "norme", "habitude", "évidence", "être soi-même" n'a aucun sens pour moi. Considérez que la notion de "préjugé", de "spontané", m'est étrangère. Ou plutôt, elle me met mal à l'aise: lorsque vous me dites "c'est évident", ça me semble souvent aussi "évident" que si un fou m'affirmait que "c'est évident" que si le soleil est jaune c'est parce que son caleçon est jaune...

C'est très... difficile à vivre dans la vie de tous les jours. Parce que, ça n'a pas l'air comme ça, mais vous vivez avec un ensemble de préjugés, ces préjugés qui sont la base de la société dans laquelle vous vivez et qui vous permettent d'agir sans vous torturer de questions.

Exemples:

  • Si vous êtes en présence d'autres personnes, vous allez éviter de roter. C'est évident pour vous: le "rot c'est sale". Pour moi, ça ne l'est pas. Le rot, c'est un dégagement de gaz stomacaux. Rien de sale là dedans: vos vêtements restent propres et vous n'êtes pas contaminé par une maladie. Dans le pire des cas, ça sent mauvais, mais c'est tout. Résultat: avant qu'on me dise que la coutume voulait qu'on ne rote pas à table, je le faisais sans gène et sans m'excuser. Et je passais pour le porc de service.
  • Si vous êtes en difficulté, par exemple au bureau pour utiliser un logiciel, vous ne vous attendez pas à ce qu'une autre personne vienne vous aider immédiatement. Si une personne le faisait immédiatement, vous le percevriez comme une manière pour cette personne de demander plus, par exemple de tenter de vous séduire ou d'affirmer sa supériorité (c'est du vécu!). Alors que pour moi, si vous avez une difficulté et que je sais comment vous aider, spontanément, je vous aide. En fait, à mes yeux, si je ne le faisait pas, je serai... une ordure: j'aurais les moyens d'aider quelqu'un qui travaille avec moi mais je ne l'aiderai pas. Alors que pour vous, ces 5-10min correspondent au temps que vous allez passer à hésiter d'intervenir. Maintenant, après de longues années, je sais que la "coutume" veut que je vous laisse poireauter 5-10 minutes avant d'intervenir. Mais je ne comprends pas pourquoi je dois attendre ces 5- 10min, et je ne l'attend que pour éviter d'avoir des ennuis.

Autre aspect.

Il se trouve que je suis aveugle/ myope à tout ce qui n'est pas dit explicitement.

Par exemple, si vous me parlez en formulant des phrases au sens neutre mais que votre posture exprime la colère, je ne vais retenir que le sens des phrases.

En fait, comme je ne suis pas totalement aveugle, je vais percevoir que vous avez une émotion négative, mais je vais être incapable de la quantifier ni de savoir qui en est l'objet.

Ce qui est terrifiant. Je perçois que vous n’êtes pas content, mais je ne sais pas pourquoi, ni contre quoi vous êtes en colère, ni même si vous êtes juste irrité ou profondément énervé.

Ça, c'est lorsque vous exprimez vos émotions.

Et sachez que contrairement à ce que certains disent sur les aspies, j'éprouve des émotions. Très intenses, même. Simplement je ne sais pas spontanément comment les exprimer de manière à ce que vous les perceviez. Peut être que les zones de mon cerveau qui devraient s'en charger dysfonctionnent.

Autre exemple, si dans vos mots, sur le coup de la mauvaise humeur, vous me dites "tu ne vaux rien", je vais le percevoir comme un jugement définitif et littéral (c'est à dire un peu comme une forme de condamnation à mort, puisque quelqu'un qui ne vaut rien ne vaut même pas la peine de vivre). D'autant que, par nature, j'ai beaucoup de mal à relativiser: les mots "c'était pour rire" n'ont pas vraiment de sens pour moi.

A l'inverse, on dit parfois que les aspies ont des "explosions de colère". Je n'ai pas le souvenir d'avoir "explosé de colère". Mais maintenant que je commence à comprendre comment vous, "normaux", vivez, je comprends mieux ce que vous appelez "explosions de colère".

Il se trouve que manifester mes émotions me met mal à l'aise: je suis blessé avec "l'expression violente" que vous faites des vôtres. J’essaye donc de contrôler les miennes pour ne pas vous blesser. D'un autre coté, j'ai du mal à concevoir que vous ne puissiez pas agir de manière logique. Lorsque je me sens agressé émotionnellement par vous, mon premier réflexe est de me dire que vous le faites parce que j'ai mal agis/ que je suis en tort. Par exemple, moi-même je ne crie que si la personne à laquelle je veux soumettre une critique est en danger de mort/ menace la vie d'autrui. Lorsqu'enfin je réalise que votre agression verbale est principalement due à un passage de mauvaise humeur, je suis doublement furieux: tout d'abord d'avoir été agressé, mais en plus d'avoir été agressé sans raison valable. Ce qui fait que je réponds deux fois plus violemment. Pire, si je suis en colère, je vais totalement court-circuiter les expressions que vous emploieriez pour atténuer la portée de vos mots. Je vais m'exprimer brutalement, parce que je vais vous renvoyer directement la souffrance que j'ai reçu, sans utiliser les "formules de politesse". Si ça peut vous conforter, dites vous bien que la douleur que vous recevez est au moins égale à celle que j'éprouve. Mais je doute que ça vous conforte, enfin, j'espère... La douleur, c'est triste.

Autre aspect, je maîtrise très mal le langage non verbal. Toujours est-il qu'il est possible que lorsque je vous parle, par malheur, j'exprime sur le plan non-verbal quelque chose qui a un sens pour vous, et qui change le sens de ce que je dis, mais que je ne perçois pas. Vous allez donc croire que je me moque de vous (ou tout autre chose) alors que ce n'est pas le cas. Et le pire, pour moi, c'est qu'il m'est impossible de prédire comment vous allez réagir.

En fait, la communication avec autrui me donne parfois l'impression d'être un aveugle au milieu d'un champ de mine : je ne sais jamais quand ça va exploser, ni pourquoi ça va exploser.

Je sais juste qu'à chaque pas il y a une grande chance que ça explose...